Parenté à plaisanterie : l'art de rire pour renforcer les liens au Burkina Faso

“Gurunsi, son affaire de viande de chien”, “le vilain Bissa”… Ces expressions, loin de stigmatiser, incarnent une tradition chaleureuse et unique au Burkina Faso : la parenté à plaisanterie, rakιιre ou dakiire (en moré, langue locale). Dans ce pays, où vivent plus de soixante ethnies, la diversité culturelle s’exprime à travers une multitude de pratiques, dont cette parenté en plaisanterie fascinante qui célèbre l’humour et la solidarité interethnique. Découvrons ensemble les origines et l’importance de ce patrimoine immatériel.


Source: lefaso.net

Les parentés à plaisanteries entre les différents groupes ethnolinguistiques des sociétés africaines existaient déjà avant la colonisation. Observées par de nombreuses ethnies, les alliances à plaisanterie reposent sur des relations sociales où taquineries et moqueries amicales sont non seulement autorisées, mais encouragées. Ces relations humoristiques, parfois établies entre familles, clans ou communautés, tirent leur origine de pactes historiques, de migrations ou d’alliances conclues par les ancêtres. Ces accords visaient à créer des liens de solidarité et à résoudre les tensions. Aujourd’hui, cette coutume perdure comme un outil puissant pour renforcer la cohésion sociale, favoriser la réconciliation et prévenir les conflits, tout en cultivant un esprit de convivialité à travers des échanges drôles et amicaux.

Un système social singulier

Dans la culture burkinabè, la parenté à plaisanterie s’exprime par des interactions entre groupes ethniques ou clans distincts. Ici, il est possible de se lancer des piques, d’adopter des surnoms farfelus ou de plaisanter librement, sans risquer de froisser l’autre. Cette tradition s’appuie sur des codes implicites qui garantissent que les moqueries restent bienveillantes.

Par exemple, un Mossi peut plaisanter sur les préférences culinaires des Samo, tandis qu’un Bobo taquinera un Peulh sur son attachement au bétail. Ces échanges, qui pourraient sembler conflictuels ailleurs, deviennent ici un moyen d’affirmer des liens fraternels.

Les rôles et les enjeux de la parenté à plaisanterie

Loin d’être de simples divertissements, ces taquineries jouent un rôle fondamental dans la régulation sociale. Elles réduisent les tensions potentielles entre groupes, renforcent les relations communautaires et servent de levier pour la réconciliation. En apprenant à rire de soi et des autres, les individus cultivent des valeurs telles que l’humilité, la tolérance et l’acceptation de la différence.

Chez les Kassena, la réconciliation des personnes en conflit se fait par l’alliance et la parenté à plaisanterie. « S’il y a une tension entre des frères, l’allié à plaisanterie a un devoir d’intervention pour réconcilier les parties. Si celles-ci refusent d’obtempérer, elles verront les conséquences négatives de cette désobéissance. L’alliance et la parenté à plaisanterie peuvent faire baisser la tension entre deux individus, deux familles et même entre deux groupes politiques. Cela dépend maintenant de la souplesse de l’individu ou ce que les individus vont déployer comme recours» 1

Cette tradition contribue également à la transmission culturelle. Les jeunes, en participant à ces échanges, intègrent des codes sociaux importants tout en découvrant l’histoire et les coutumes de leur communauté. L’humour devient ainsi un outil pédagogique efficace et ludique.

Exemples de pratique de cette Tradition

Chaque ethnie du Burkina Faso a ses propres manières d’interpréter la parenté à plaisanterie. Selon l’histoire, l’origine de l’alliance à plaisanterie entre les Gurunsi et les Bissa provient de la « tête de chien. » Les Bissa et les Samo seraient des cousins qui raffolaient de la viande de chien, particulièrement de la tête de cet animal. Après des discussions, et n’arrivant pas à s’accorder sur qui devait garder cette partie précieuse d’un chien qu’ils avaient abattu, ils en vinrent à se bagarrer. "Le Bissa, aurait confié la tête de chien à un vieux Gurunsi. Revenu quelques moments après pour reprendre sa viande, il constatera que celui-ci l’avait déjà mangée avec sa famille." 2

Pour ce qui est des relations de plaisanteries entre les Samo et les Mossi. Les Samo pensent que les Mossi sont peu raffinés et qu’ils ont des comportements barbares et un mauvais penchant à vouloir toujours être les chefs, là où ils se trouvent. En retour, les Mossi pensent que les Samo sont anarchiques dans leur système d’organisation ; ils les traitent de voleurs, et même de voleurs de biens futiles que l’on pourrait se procurer gratuitement. Selon eux, les Samo auraient la manie de voler aux femmes (et même à leurs propres femmes) le « zom-koom », cette eau fraîche, farineuse et sucrée dont ils raffoleraient, alors qu’ils pourraient se la faire offrir. Dans le jeu verbal de la plaisanterie, un des protagonistes doit convaincre l’autre de la déraison et de la faiblesse de l’organisation sociale de son groupe ethnique. 3

Si les interactions hommes-femmes sont aussi concernées, elles respectent des règles précises pour préserver l’harmonie sociale. Cette attention aux codes permet d’éviter les malentendus ou les excès.

Source: Open Edition journal

Les limites de la parenté à plaisanterie

Bien que cette tradition soit une source de joie et d’unité, elle a ses limites. Certaines situations sensibles, comme les événements tragiques ou les sujets tabous, échappent au domaine des plaisanteries. Les dérives, bien que rares, peuvent survenir si les règles implicites ne sont pas respectées. Par ailleurs, tout le monde ne participe pas aux jeux de l’alliance à plaisanterie. L’âge, le statut social ou des circonstances particulières peuvent limiter cette pratique, créant parfois des sentiments d’exclusion.

La parenté à plaisanterie, pilier culturel des relations interethniques au Burkina Faso, rappelle que l’humour et la taquinerie peuvent transcender les différences. Mais dans un monde en mutation rapide, où les défis sociaux et sécuritaires se multiplient, cette tradition devra relever un nouveau défi : rester un vecteur d’unité tout en s’adaptant aux réalités modernes.

 

SADONGO O. Estelle Laéticia


Sources

[1] artistes.bf 

[2] Parenté à plaisanterie : Bissa et Gourounsi perpétuent la tradition à Garango - leFaso.net

burkinatourism.com:https://www.burkinatourism.com/HISTOIRE-La-parente-a-plaisanterie-au-Burkina-Faso.html

Open Edition journal : Les relations de plaisanteries au Burkina Faso

Lefaso.net: https://lefaso.net/spip.php?article75757



 


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