Mendicité des mères gémellipares : de la coutume au commerce

 

Dans la ville de Ouagadougou, il n'est pas rare de rencontrer des mendiant(e)s à chaque arrêt, à proximité des mosquées, marchés et dans particulièrement plusieurs quartiers tels que la patte d'oie, Ouaga 2000 etc. Généralement il s’agit d’enfants, adolescents, femmes et handicapés. À cette liste s'ajoute les « kinkirs-màa » (maman de jumeaux en langue nationale mooré). Quelles sont les raisons de cette mendicité des mères ? Quelles peuvent en être les conséquences sur les enfants ? Nous essayerons de donner des éléments d'analyse et de compréhension à ces questions dans les prochaines lignes.

 Photo d'illustration

    Autrefois, au Burkina Faso et particulièrement dans la société Mossi, les jumeaux étaient considérés comme des êtres « pas normaux », dotés de pouvoir surnaturels et responsables de certains malheurs et maladies. Au regard de cette perception de la société à leurs égards, il était alors légitime de tuer les jumeaux de même sexe de diverses manières (abandon dans une termitière, empoisonnement etc.) Au fil du temps, cette perception a changé. Les naissances gémellaires étaient associées désormais à une série de rituels d’ordres culturels et religieux pour divers objectifs. C'était garder les jumeaux en vie et en bonne santé, préserver les parents de leurs agressions et être en accord avec les forces mystiques qui les animent. Ainsi, à la naissance, les enfants devaient être présentés dans des lieux spécifiques (marchés, yards, mosquées…) à un temps limité moyennant de dons symboliques qui sont entre autres des céréales, des galettes, de l’argent etc. En contrepartie, les donateurs recevaient des bénédictions de la part des jumeaux.

    Depuis quelques années, ce phénomène notoire monte en puissance et sous une autre forme. Nous avons sillonné plusieurs quartiers de la capitale politique du Burkina Faso à la rencontre de mamans de jumeaux/jumelles. Au quartier Patte d’oie, non loin du grand rond-point, nous apprenons l’existence d’un marché particulier dénommé "garib yaré" ("marché des mendiants."). Dès notre arrivé, nous apercevons une jeune mère, de teint noir, foulard noué à la tête, vêtue d'une combinaison de plusieurs pagnes. Aïcha (nom d'emprunt), en compagnie de ses fillettes d’environ 2 ans nous accueillent avec un léger sourire et une voix douce en ces mots : "kinkirs mâa bonsré" (la maman des jumelles demande). Après plusieurs minutes de négociations, nous lui arrachons quelques mots sur les raisons de sa présence en ce lieu. « C'est pour la santé de mes enfants que j'ai commencé à mendier » lance-t-elle avec un soupir. « Lorsque j'ai accouché, ma belle-famille m'a fait savoir que je devais sortir et mendier avec mes filles au moins trois fois par semaine c'est à dire le lundi, mercredi et vendredi. Au début j'avais refusé et l'une des jumelles a commencé à tomber chaque fois malade. Mais lorsque j'ai commencé à mendier sa santé s'est améliorée. » À quelques mètres nous faisons la rencontre de Viviane (nom d’emprunt) qui affirme avoir commencé à mendier avec ses jumeaux depuis maintenant 5 années sous le couvert de la culture. L’un de ses enfants Raogo (nom d’emprunt) nous confie qu’il aime bien lorsqu’ils (lui, sa maman et sa sœur) ne sont pas à la maison. 

Si pour Aïcha et Viviane les raisons de leur présence à "garib yaré" sont pour des raisons culturelles et coutumières, d'autres s'adonnent à la mendicité pour d'autres fins.

    Rencontré au feu de Ouaga 2000 à proximité de Palace Hôtel, Amdia (nom d'emprunt) nous fait savoir que depuis la mort de son mari et par manque de moyens, elle s’est lancée dans la mendicité. Elle s’exprime en ces termes : "j'ai commencé à mendier pour subvenir aux besoins de mes jumeaux et de leurs 3 frères et sœurs. Je n'ai pas autre soutien ni travail donc la solution que j'ai trouvée était de mendier et pour dire vrai je m'en sort bien". Pour cette dame donc, mendier n'est pas un choix mais plutôt une obligation pour prendre soin de sa famille. " Par jour je peux obtenir 10.000 voire 20.000 franc" termine-t-elle. Ainsi, l'irresponsabilité de certains pères, l’alcoolisme, le manque d’emploi, etc. sont quelques raisons parmi les multiples existantes qui poussent les femmes à s'adonner à la mendicité avec leurs enfants souvent pas jumeaux/jumelles. Mais force est de retenir que cette pratique a des conséquences sur ces enfants. 

    Sur le plan sanitaire, ces enfants sont exposés à de nombreuses maladies telles que le choléra, la fièvre typhoïde etc. , mettant également leurs familles respectives en danger. En sus, ces enfants, pour la majorité, éduqués dans la rue sont des potentiels candidats aux fléaux sociaux qui minent la société (grand banditisme, prostitution…) par manque d’une vie de famille épanouie et d’une inculcation des bases de notions de savoir vivre en société. Dans certains cas, ces enfants sont utilisés par les parents pour se faire de l’argent ce qui est une barrière pour leur scolarisation.  Enfin, mendier avec les enfants forge en eux une paresse dans le sens qu’ils voudront continuer dans cette facilité qui est la mendicité plutôt que de travailler à la sueur de leur front.

Au-delà de la surface de ces marchés de mendicité, se cache une réalité complexe. Ces femmes, qu'elles soient liées à la tradition ou confrontées à des défis économiques, méritent une attention plus approfondie de la part de la société et des autorités. La survie de ces familles ne devrait pas reposer sur la mendicité, mais sur des politiques sociales et économiques plus robustes. Il est temps de transformer ces marchés de mendicité en espaces de soutien et de développement, permettant aux mères de jumeaux de prospérer sans compromettre l'avenir de leurs enfants.


                                                                           Sadongo Laéticia

Commentaires

  1. Ce phénomène devient de plus en plus complexe avec l'arrivée en masse des PDI. A chaque feu que l'on croise ils sont en tas, et c'est dangereux parce que ça perturbe la circulation.
    Il faudrait que l'État fasse des campagnes de sensibilisation pour éradiquer cela ou passer par la manière de Alassane OUATTARA

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  2. Toutes mes félicitations pour cet article

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